Reconnaissance
Re co naissance

La reconnaissance se présente comme une naissance éternellement renouvelée dans le regard de l'autre. Mais aussi une renaissance réflexive dans le retour que fait l'autre au moindre signe de la prise en considération qui lui est faite. Bon, mais en médiation, à quoi ça sert ?

Les petites morts, les petites naissances
On entend parfois, à l'occasion de vétilles peu agréables qui traversent nos vies, un revers de main verbale pour balayer la douleur aigue mais passagère ressentie : " c'est une petite mort ". Quand un enfant perd ses dents de lait, c'est une petite mort : l'enfant meurt à lui-même pour devenir un adolescent. Quand il passe de la petite à la grande école, on le flatte pour mieux dénier la douleur de la petite mort qu'il traverse en renonçant à son état de bébé. Finir ses études et chercher du travail, c'est une petite mort : l'étudiant n'est plus. Se marier se fait souvent après un rituel de purge au cours duquel " on enterre sa vie de garçon ". Chaque cheveu qui tombe de la tête du monsieur, chaque ride qui apparait sous les yeux de la dame sont des petites morts. Une sorte de micro répétition de la grande mort, une sorte d'apprentissage, silencieuse accoutumance à la présence finale.

Remarquez, que, comme dans les jeux d'enfants, nous avons plusieurs naissances et plusieurs vies car, à chaque fois, il ne s'agit que d'un passage, pour mieux renaître en autant de petites vies. Remarquez aussi, que, ces petites morts ne sont que rarement conceptualisées par la personne concernée, mais par un tiers qui anticipe les effets néfastes d'un éventuel non-dit, en dénonçant le fait et par là-même en lui retirant le pouvoir de son éventuel refoulement. A minima il faut un miroir - pour les cheveux blancs par exemple. Mais qu'est-ce qu'un tiers en la matière si ce n'est un miroir.

Résumons : des petites morts, passages vers des renaître, mais qui s'opèrent avec l'aide d'un tiers. Autrement dit, on renait dans la rencontre avec l'autre : on " co-nait " ensemble, ou plus exactement comme nous le dit pleinement le mot: on " re co nait ", on renait ensemble avec l'autre. Nous nous donnons mutuellement la vie en une perpétuelle renaissance, en reconnaissant que l'autre existe dans notre regard. On n'existe que dans le regard de l'autre.

Mais c'est quoi " reconnaitre " ?
Oui, c'est quoi au juste " reconnaître " ? C'est simple, c'est compliqué, c'est divers. C'est concentrique et expansif. C'est spontané ou préparé ou ritualisé. Voilà déjà trois axes d'exploration qui vont nous permettre de donner du relief à cette question en évitant le plus possible de s'attarder sur les recouvrements entre les trois points de vue.

C'est simple, c'est compliqué, c'est divers
" Bonjour, comme allez-vous ? ". Simple donc pour commencer. Mais posons nous la question de combien de fois nous avons souhaité une bonne journée - bonjour - en 24 heures et surtout à combien de personnes que nous ne connaissions pas déjà ? Ne serait-ce que pour augmenter le nombre de naissances journalières et pas seulement de " renaissance ". Un peu plus loin : combien de fois avons-nous détourné le regard de personnes que nous avons croisées sur le trottoir sans leur dire " bonjour " ou pour les éviter ? Pour ce qui est de " comment allez-vous ? ", de plus en plus rare, c'est déjà une conversation, nous n'avons pas le temps…

" Laissez-moi vous donner un coup de main ". Aider l'autre, c'est un peu plus compliqué. D'aucun qui donne un coup de main pour porter une poussette dans les escaliers du métro, ou qui s'attarde à prendre le coude d'un non-voyant pour l'aider à traverser la route, piétinera sa propre mère à laquelle il va rendre visite cinq minutes après. Complexe à analyser, mais ne nous attardons pas trop.

Qui, ayant eu le sentiment d'avoir bien travaillé, se voit promu à l'échelon supérieur par sa hiérarchie, aura surement le sentiment d'une juste reconnaissance. N'eut-elle pas été au rendez-vous que la lacune aurait eu bien du mal à se refermer sur autre chose que de la rancœur. Donc une reconnaissance à ne pas manquer au risque d'un retournement du comportement de la personne ignorée.

Lorsqu'après une confrontation virile autour d'arguments construits on arrive à convaincre son contradicteur du bien fondé de sa pensée et qu'il conclue par un " tu as raison " franc et clair. Quelle reconnaissance ! Si rare…

Un petit florilège de reconnaissances donc, pour planter le décor et illustrer d'entrée la diversité des reconnaissances qui du simple bonjour souvent tronqué, à l'entre-aide pour bonne conscience, à la promotion à attribuer au bon moment, vont devoir s'adapter à chaque personne, varier en intensité, et arriver au bon moment. Donc assez facile à comprendre mais pas immédiat dans la réalisation.

C'est concentrique et expansif
Ce titre un peu énigmatique veut mettre en exergue que la reconnaissance se prépare de l'intérieur d'une personne vers une autre et se propage.
L'accueil - ou le rejet - de l'autre commence par un discours intérieur qu'on adresse à l'autre. Il faut cesser de maugréer des phrases poison à son encontre :

- Ce ne sont que des bons à rien
- Il faut tout faire soi-même
- Si je ne suis pas là pour surveiller…

et s'entrainer à changer de posture avec des affirmations positives :

- Les personnes qui sont là sont les bonnes
- Elle fait ce qu'elle peut

Enfin les courageux, bien sûr, pourront ouvrir un champ immense de compréhension et de reconnaissance à l'autre en se questionnant eux-mêmes, sans pour autant perdre leur confiance en eux, ni leur autorité :

- Suis-je vraiment meilleur ?
- Ai-je bien compris ?
- Ai-je bien interprété ?

Ceci va induire, plus ou moins à notre insu, une posture dans nos relations à l'autre dans laquelle la confiance va s'installer et enclencher des cercles vertueux. A un sourire va répondre un sourire.

Et cela, normalement, ne s'arrête pas là car, un sourire appelle un sourire de l'autre et cet autre qu'on vient de croiser sans à peine le connaître mais assez pour le reconnaître, va lui aussi sourire à la prochaine personne qu'il croisera et ainsi de suite la démarche risque d'être expansive… j'en prends le risque.

Mais ça ne s'arrête toujours pas là. Dans mon discours intérieur je le reconnais, dans le regard que je lui adresse il se reconnait, dans l'attitude qu'il a prise il les reconnait à son tour. Voilà un axe d'expansion. Mais nous avons bien dit en introduction qu'une reconnaissance était une renaissance en commun, une renaissance réciproque. Chaque reconnaissance a son effet boomerang et on peut - on doit - s'attendre à un flux inverse. Ainsi les clients renvoient-ils à un moment ou un autre la reconnaissance qu'ils ont eue dans la relation avec leur fournisseur, qui la répercute sur ses équipes, qui en parlent entre elles…

C'est spontané ou préparé ou ritualisé
Certes, certaines personnes sont douées pour sourire aux autres et distribuer une reconnaissance spontanée à l'existence d'autrui. Certes des répliques " bonjour, comment ça va ? " que nous avons évoquées ci-dessus fusent-elles sans beaucoup de préparation. Mais il en est d'autres qui viennent moins facilement.

" Nous n'avons pas eu le contrat mais, tout de même, je vous félicite pour votre travail et l'implication que vous y avez mis dans cette affaire. Sans aucun doute, nous serons gagnants à la prochaine consultation. " Voilà des phrases qui se préparent et sont le fait d'un grand chef capable de reconnaissance envers les salariés.

Mais les timides ou les peu doués pour émettre des signes de reconnaissance sont aidés par les rendez-vous rituels : les pots de départ, les anniversaires de mariage… surtout ne pas manquer ces occasions de signifier à l'autre qu'il existe.

Au quotidien, qui pense à réserver un vestiaire, une chaise, un bureau au nouvel arrivant ? Autant de petites intentions, de petits gestes qui marquent l'ambiance du service et donne le ton de la qualité relationnelle entre les personnes de la famille ou les personnels de l'entreprise.

Et en médiation, à quoi sert la reconnaissance ?
On comprend un peu mieux combien il est agréable d'être reconnu. Tellement agréable qu'on peut être l'objet de manipulateurs que notre besoin d'exister va nous pousser à idolâtrer. Combien de désastres humains ne sont-ils pas arc-boutés sur des slogans pervers de reconnaissances identitaires tels que :

- Vous êtes d'une race supérieure
- Vous êtes une famille irréprochable constituée d'ancêtres illustres et rien ne peut entamer la légitime fierté dont vous héritez d'être choisi.
- Votre diplôme d'étude supérieure est le titre de noblesse moderne qui vous place immuablement dans la mouvance galactique et éternelle des étoiles de notre pauvre société ignorante

Ça c'est le mauvais côté.

En revanche, il y a un côté ré-équilibrant, un recentrage coaxial, une mise en ligne de la reconnaissance qui libère l'homme de son jeu de bande intérieur dans lequel il se perd lui-même. " J'agis comme cela parce que je souhaiterai… " dit librement un incompris jusque-là dans ses motivations. " Vous avez raison " lui répond le médiateur. Tout de suite les barrières à l'expression des motivations qui semblaient inaudibles par l'environnement, tombent et la parole se libère. L'homme montre à quel point il est pétri de bonnes intentions et combien elles sont cohérentes et justifiées. Bonnes intentions cohérentes et justifiées… pour lui, bien sûr. Mais c'est déjà beaucoup.

Un : si la reconnaissance de son existence est proclamée, la peur de ne pas exister, la peur de mourir pour faire cours, baisse pour l'interlocuteur. Cela libère sa parole, il renait car il sent, il sait, qu'il ne sera pas jugé, pas condamné… à mort. Dans l'expression libérée, il est possible qu'il s'entende dire une incohérence qui lui sera alors possible de rectifier pour que son raisonnement et ses choix de vie retrouvent un alignement puissant avec ses motivations. Il se recentre de façon rationnelle avec lui-même.

Deux : il est patent que la personne est pétrie de bonnes intentions vis-à-vis d'elle-même. Ça change tout : elle n'est pas pétrie de mauvaises intentions vis-à-vis de l'autre avec lequel elle est en conflit. Ça change tout.

Trois : conscient du basculement de la posture vis-à-vis de l'autre, il est possible de reconnaitre les coups portés maladroitement par l'adversaire et d'en neutraliser les effets d'escalade incontrôlés et, même, d'enclencher une désescalade pour éteindre les effets aliénants des émotions incontrôlées.

Plus précisément les coups maladroitement portés - peut-être pas si maladroitement que cela finalement, puisque ça a marché, les personnes sont bel et bien en conflit - tournent toujours autour des même thèmes quelques soient les conflits :
- une mauvaise interprétation des dires de l'autre et une qualification, négative en général, de ses propos
- une attribution de motivations aux actions de l'autre qui n'ont rien à voir avec la réalité et qui, en général, sont négatives à l'endroit du partenaire en conflit
- l'absolue certitude qu'on ne pourra pas sortir du conflit par une autre solution que celle que l'on préconise, et à laquelle on se fait fort de contraindre l'autre partie.

Autant de maladresse que s'imposent réciproquement les parties ignorantes de ces mécanismes qui les manipulent malgré elles. Dans un premier temps, accéder à l'idée qu'on est bien intentionné vis-à-vis de soi et que l'autre a vraiement été maladroit aide, dans un second temps, à reconnaître que soi-même on a été maladroit. C'est gagné.

En quelques lignes, nous avons décrit la désescalade enclenchée par la reconnaissance de l'autre prodiguée par le médiateur. Ceci est très puissant pour éteindre les énergies négatives autour d'un conflit et accéder à un relatif plat émotionnel autour de l'objet du litige et donc accéder à un choix rationnel parmi les diverses solutions que l'imagination des parties concernées va découvrir.

Non, non, nous ne vous contons pas un conte de fée. C'est bien comme cela que ça se passe. Et même mieux.

La qualité relationnelle
A l'expérience, on vient chercher un médiateur quand on a tout essayé, quand les gens ne se parlent plus, quand on a épuisé, croit-on, toutes les solutions. Evidement les médiateurs ne sont pas des magiciens - encore qu'un peu de mystère autour de leur procédure ne nuit pas à l'efficacité de leur travail - et il est bien plus commode d'anticiper les conflits que de les résoudre une fois qu'ils ont éclaté. Cela s'appelle travailler sur la qualité relationnelle.

On répertorie avec compétence les causes de maladresses et les articles précédents que nous avons proposés se font écho notamment de l'importance des mots à ce propos. Cependant on évoque moins que, presque toujours, les causes objectives sont associées au ressenti par " l'offensé " d'un manque de reconnaissance de la part de son interlocuteur. Manque de reconnaissance réel ou pas d'ailleurs, mais manque de reconnaissance, d'existence jamais totalement assouvi et dans lequel le conflit vient ressourcer son énergie.

Le médiateur résout les conflits dont il connait les mécanismes mais, par là-même, il lui est possible de surveiller les symptômes annonciateurs d'une dégradation relationnelle qui fera le lit de surenchères au moindre accroc entre les personnes. Plus que comme un acteur " pompier " qui intervient quand " le torchon brule " entre les personnes d'une même entreprise notamment, il préfère être perçu et intervenir comme expert en qualité relationnelle qui mène une action de fond, qui forme les personnes et les met dans une posture relationnelle de qualité, afin de leur éviter des dérives qu'elles ne contrôleront plus. Evidemment ces experts en qualité relationnelle - les médiateurs - surveillent la façon dont circulent les reconnaissances dans le groupe, les modalités concrètes de celles-ci, les signes visibles émis auprès de chacun.

La reconnaissance est donc le levier majeur pour apaiser la charge émotionnelle dans les conflits et elle est aussi un critère essentiel pour la réussite des missions d'amélioration de la qualité relationnelle.