Lâcher
prise Lâche moi la grappe !
La violence Tant
décriée partout, la violence pourtant semble progresser inexorablement.
Dans les écoles, les maîtres ne sont plus respectés par les
élèves ni même par les parents. Dans la rue, il arrive que
la police alternativement reçoive des pavés aussi bien que des félicitations.
Dans leurs déplacements, les Présidents de notre République
sont vilipendés. Les défavorisés pris en charge par les uvres
caritatives se déchirent entre eux. Dans ma propre rue si bien fréquentée,
des ouvriers qui réparent les réseaux et rénovent les parkings
sont agressés, insultés car les gens pendant quelques jours ne disposent
plus de leur place pour garer leur voiture. Bien sûr, nous n'envisageons
pas de faire une liste exhaustive. Et, lors de ces conflits, " ça
cogne ". Fi de ces " prout prout ma chère " qui s'offusquent
en lisant le sous titre de cet article " lâche moi la grappe ! "
C'est à peu près le ton des échanges en cas de conflit. Une
façon d'afficher l'irréversibilité de sa surenchère
en s'ébrouant, par l'apparente violence verbale de la vulgarité,
des convenances sociales qui devraient endiguer les débordements des relations.
Nous venons de franchir un premier pas ; la violence verbale devrait affranchir
du cadre des convenances et par écho du cadre des usages et de la loi.
On fait la loi tout seul en insultant. Creusons. La violence verbale
" Attention à la voiture ! " est un cri, a priori plutôt
sympathique. On peut donc crier sans être vulgaire. " Oh !
putain ! t'as vu la meuf ! " a quelque chose de plutôt contradictoire
; voilà un cri à intention flatteuse, notamment pour la créature
en question qui pourrait se féliciter d'attirer autant d'admiration. Mais,
en même temps, la désigner comme " putain " ou " meuf
" a tendance à briser le charme. On a bien compris que les codes peuvent
varier d'un milieu à un autre, d'un âge à un autre, et que
ces sobriquets pourraient être, dans le fond, gentils. Mais après
cet effort, peut-être louable, de compréhension, non, nous ne validons
pas la pseudo complicité que semble appeler cette vulgarité. Le
même supposé milieu et le même supposé âge pourraient
tout aussi bien s'exprimer avec ses soi-disant codes propre et dire quelque chose
comme " Wouah ! Je rêve ! Tu vois le même mirage que moi ? ".
Il s'agirait donc de l'exemple d'une maladresse due au double sens introduit par
la vulgarité qui affiche l'extrême faux négatif - une sorte
de double négation - pour dire en réalité le vrai positif
et dont la surenchère de la part de la belle (ou supposée telle)
pourrait être une gifle à la plus grande surprise du garçon
qui pensait avoir été galant. Donc extrêmement difficile de
manipuler la vulgarité avec justesse, il faut beaucoup de talent. "
Ta gueule connasse ! " là au moins on n'a pas d'ambigüité,
il n'y a pas de maladresse. Celui qui parle de cette manière exprime clairement
et sans double sens son appréciation de la personne à qui il s'adresse
(c'est une connasse) et la contrainte qu'il souhaite lui appliquer (se taire).
Ce n'est pas une maladresse ou un écart de langage. Reste à savoir
l'efficacité de cette apostrophe, nous y reviendrons tout à l'heure. Vous
n'aurez pas été sans remarquer que nos exemples sont tous portés
dans la bouche de garçons. Ne vous y trompez pas, en la matière,
pas de propriété intellectuelle et artistique, l'égalité
des sexes n'a pas à être revendiquée. Mais, bon, comme nous
sommes un garçon, les exemples nous viennent naturellement orientés
comme cela - tellement naturellement, hélas ! A ce stade qu'en conclure
? La violence verbale associée à la vulgarité semblerait
indiquer le plus souvent une maladresse chronique et semblerait amoindrir finalement
le message. Poussons un peu plus loin en allant dans l'autre sens. La puissance
(violence) verbale est-elle augmentée en s'exprimant avec grâce et
élégance ? Un professeur de français avait donné comme
exercice de rédiger une lettre d'insulte, un des enfants s'était
enfin lâché et avait rendu une page de vomi qui lui valut zéro.
L'enfant a été totalement blessé par cette injustice qui
inspira aux parents de rédiger à leur manière une lettre
d'insulte au professeur pour recadrer l'affaire dans toute son ambigüité
: Vous pensâtes, Madame, qu'une lettre d'insulte Serait un exercice
à nul autre pareil Pour maintenir la classe quelque peu en éveil. Vous
vouliez aussi qu'on s'inspirât du culte Pour rédiger un texte
galant et bien tourné Où les mots, les phrases viendraient juste
abîmer Dans un rythme bien rond l'orgueil de l'adversaire. Eh bien
non voyez-vous c'est dans le caniveau Qu'on relève les mots que rien
ne fera taire Qui blessent l'ennemi, claquent comme un drapeau L'ordure
violente est un style Madame Convenable à l'insulte, n'en déplaise
à votre âme. Ce courrier testé auprès de
quelques adultes avant envoi a été jugée tellement puissant
que tous ont conseillé aux parents de ne pas l'envoyer. Nous l'avons récupéré
à titre d'exemple. Si vous n'êtes pas encore acquis à
la puissance des billets d'insultes, peut-être cet autre exemple pourra-t-il
vous convaincre un peu plus. Un homme peu amène voulait tirer à
lui les mérites d'une action collective et se voir pour cela être
élu président d'une association à but non lucratif dont l'enjeu
était, donc, de pouvoir et d'honneur. Les choses en étaient venues
à un sommet classique d'adversité : invectives, avocats, procès
Un des membres de l'association, étant en plume, a proposé au président
en place de lire publiquement un texte qui aurait pour but de remettre à
sa place l'orgueilleux lors d'une assemblée générale. Puisque
je puis parler je vous dirais tout droit Que vous n'êtes qu'un fat doublé
d'un maladroit. S'il est vrai cette fois qu'un peu vous travaillâtes Orgueilleux
à nous yeux vous gonflez écarlate. Comme le fit grenouille pour
grossir comme vache, Vous mentez et bluffez, vous soufflez sans relâche. Ne
voyez-vous donc pas que vous êtes sénile Et que vos arguments
riment avec débile. Vous, être Président, mais c'est vraiment
risible ! Je ne nie pas pourtant que vous soyez subtile, Mais certainement
pas assez irrésistible, Pour rassembler des voies et paraitre éligible. Ecoutez
mon conseil, c'est en toute amitié, Que nous sommes d'accord pour que
vous récoltiez Du travail collectif, pour pousser nos affaires, La
gloire et les honneurs dont nous n'avons que faire. Mais vous ne serez pas,
des amis ci-présents Ni le chef, ni le roi ou bien de Président. Là
aussi ce texte a été jugé tellement puissant que le président
en place a estimé bon de ne pas le lire craignant que son adversaire en
meure dans son salon où se tenait l'assemblée. Les mots peuvent
être plus puissants que des balles. Nous l'avons récupéré
à titre d'exemple. Nous en avons des dizaines. Certes illustration
n'est pas démonstration, mais nous n'avons pas plus à proposer pour
le moment pour étayer l'idée que la violence verbale n'est pas liée
à l'intensité sonore ni à la vulgarité des propos
et que, même, le rendement de cette violence en plein conflit serait inversement
proportionnel à ces deux facteurs. Or, dans les conflits, nous sommes bien
en présence de cette violence verbale. Que faire pour faire lâcher
prise et déposer les armes aux protagonistes ? La violence
appelle la violence Ça nous fait penser tout de suite à
l'histoire bien connue de la poule et de l'uf, insoluble quand il s'agit
de savoir qui a l'antériorité sur l'autre ou encore à la
réflexion d'enfant (et encore, d'enfant, il y a bien des adultes qui
)
: " c'est pas moi qui a (ai) commencé !" En aucun cas vous
ne trouverez ici un justificatif à la violence, mais il n'est pas possible
d'en sortir sans en comprendre la raison. Car raison il y a à ce comportement
déraisonnable. La violence ne vient pas toute seule de nulle part. Vous
avez remarqué que nous n'avons pas, pour une fois, commencé par
une introduction qui pose une question. C'est qu'il ne s'agit pas de poser puis
de répondre à une question, il s'agit d'entrer dans une maturation,
dans un cheminement, ce que les médiateurs professionnels appellent un
processus structuré. On ne peut pas vraiment annoncer le menu dès
le départ quand la situation est bloquée, quand les esprits sont
cramponnés au sommet de la surenchère, crispés par le vertige
d'une descente impossible. Donc, on avance progressivement, même dans l'exposé
du sujet. Lâcher prise Ecoutons bien. L'expression
explose d'une ambigüité dans laquelle, nous, médiateur professionnel,
sommes près à nous engouffrer. En effet, elle intime, en premier,
d'abandonner la crispation sur une pseudo argumentation qui flatte l'envie de
gagner de chacune des parties en conflit, serait l'arme invincible contre l'ennemi
et justifierait à elle seule d'entrer dans une guerre de tranchée
épuisante mais dont on est sûr et certain de sortir vainqueur ; elle
ordonne de lâcher la prise que l'on croit avoir sur l'autre et sur les évènements,
de " poser les armes ". Mais, dans un second temps, si on écoute
bien, elle conseille pour qui veut l'entendre de " lâcher " en
première étape pour assurer la " prise " ensuite. Autrement
dit qui " perd gagne ". Or c'est un peu de cela dont il s'agit. D'accord,
nous avons tous entendu parler avec un sourire intérieur de la joue tendue
quand la première avait été giflée. Mais, il faut
un sacré entrainement (évidemment, il s'agissait de Jésus,
quoi de plus sacré) pour encaisser et pratiquer de la sorte. D'accord,
mais sans aller jusque-là, on peut mentionner que " ne pas en rajouter
" autrement dit ne pas surenchérir, serait déjà un gros
progrès. Mieux, déposer les armes carrément sera de nature
à calmer le conflit. Pourquoi ? Parce que, nous venons de le voir,
la violence appelle la violence mais, symétriquement, la non violence appelle
la non violence selon le même mécanisme de surenchère mais
inversé : la désescalade. Que de mots qui font écho à
nos journaux qui parlent d'éteindre un conflit armé (cesser le feu,
déposer les armes, désarmement, désescalade, négociation,
paix). Mais comment fait-on ? On redescend une à une avec chaque
partie individuellement les marches d'escalier de la surenchère par laquelle
elle est passée. C'est alors qu'en effet, on retrouve prise sur les
évènements. C'est alors que libéré du parasitage par
nos émotions et nos blessures qui troublent notre discernement, qu'en effet,
nous retrouvons " prise " sur les évènements, sur les
choix de notre vie. Le slogan se retourne " lâcher pour mieux avoir
prise ". C'était encore une fois juste une question de virgule car
il n'est pas d'abandon du " lâcher prise " mais de séquencement
des étapes du " lâcher, prise ". Par-ci par-là
on trouve ce mécanisme utilisé comme ressort dramatique dans les
séries policières américaines où un méchant
en détresse braque son arme contre un gentil policier : les relations sont
à leur paroxysme de tension et semblent sans issue satisfaisante. Le policier
convint son vis-à-vis de déposer les armes en commençant
par le faire lui-même. Et ça marche, la raison reprend le dessus,
le bon brigand baisse son arme, un cercle vertueux relationnel se réinstalle
- on voit moins souvent la chose avec un vrai mauvais brigand. En mathématique
c'est dans les équations aux limites qu'on peut déterminer la valeur
des constantes d'une équation différentielle. Eh bien là,
c'est pareil. C'est en effet dans ces situations extrêmes qu'on détermine
ce qui conditionne le mécanisme de la surenchère en régime
courant : la peur mêlée à la bonne volonté bafouée.
C'est sur ce capital de " bonne volonté " que puise le médiateur
pour faire déposer les armes et pour rassurer les parties, lors d'entretiens
séparés avec chacune, alors même que la situation est bloquée.
C'est un savoir faire, c'est un métier. L'efficacité Mais
tout de même, on a des intérêts à faire valoir, des
choses à dire (en fait des émotions). On a bien anticipé
que les usages, la loi
ne vont pas être d'un grand recours pour être
écouté et pour résoudre " rapidement " ce qui ne
va pas bien. Alors on passe tout de suite à la position extrême en
sortant de la loi et en tentant de résoudre " de force " la relation
douloureuse. Bien sûr ce faisant on ne réalise pas qu'on crée
nous-mêmes une impasse. Et, en général, pour répondre
à la question ouverte un peu plus haut a propos de " ta gueule connasse
! ", ça ne marche pas. Il nous est souvent regrettable de constater
que c'est à l'épuisement des parties que l'alternative de la médiation
trouve son écho et sa légitimité. La logique devrait être
inverse et ce ne devrait être qu'après épuisement des solutions
alternatives à la justice que celle-ci devrait être sollicitée.
Et c'est bien le sens de la loi d'avril 2015 et de ses décrets d'applications
d'octobre. Seulement, voilà, ça n'a pas l'air de fonctionner comme
l'esprit de la loi l'anticipait. Alors, pourtant
Alors
que se passe-t-il ? Pourquoi ça ne marche pas ? Les gens ne sont pas bêtes,
pourquoi continuent-ils de se disputer et d'entrer dans des surenchères
épuisantes et bloquées au risque de tout perdre s'ils ne lâchent
pas prise ? Bien sûr les gens du droit, comme on les désigne,
ne vont pas laisser si facilement s'échapper leur gagne pain, l'équation
est simple : plus de médiations, égale moins de procès, égale
moins de travail. Mais il ne suffira pas de leur en faire procès, dans
la résolution desquels ils excellent d'ailleurs, pour tout expliquer. Certains
sont de bonne foi et reconnaissent le bien fondé d'une démarche
de médiation. Alors ? Leurs mandants, eux, ne sont pas familiarisés
avec la démarche. Ils sont les héritiers de siècles de culture
de l'adversité. L'histoire des pays ne sont que litanie des adversités
guerrières, pas chant de gloire aux mérites des temps de paix (d'ailleurs
y en a-t-il eu ?). Comment un jeune va-t-il prendre pour héros un homme
qui préconise de " lâcher prise ", alors qu'un tueur d'une
élégante orbe sabreuse (scabreuse) qui tue sept d'un seul coup -
un beau titre pour un conte de fée -, ça oui, ça ressemble
à quelque chose. Lors d'un conflit, ce sont eux en premier qui veulent
que l'avocat se batte pour eux. Il semblerait donc que ne sont vraiment capables
de lâcher prise de façon crédible et fructueuse que ceux qui
ont le pouvoir justement de ne pas le faire. On ne va pas trouver beaucoup de
candidats plausibles
à moins que
À moins que le recours
à un tiers facilite le processus : un médiateur. A moins que la
loi ne soit pas qu'un vu pieu lancé pour se donner bonne conscience
par le monde politique, mais un texte dont l'efficacité est surveillée
pour ajuster les points qui prêtent à confusion et surtout lutter
contre les murs de contournement dressés par les apparents perdants au
changement. Décrisper les gens du droit, faire basculer les postures
ancestrales d'adversité vers des postures d'altérité, faire
appliquer la loi sur le recours aux modes alternatifs de justice sans laisser
se répandre les récupérations perverses
ça va
prendre du temps. Multi-dimension Lâcher prise
est donc une démarche personnelle, accompagnée par un médiateur,
qui va libérer les parties des chaines de leurs émotions qui les
empêchent de discerner rationnellement les bonnes solutions à leur
conflit. Ce n'est pas un abandon devant l'impossibilité de parler avec
l'autre, c'est une distanciation pour mieux avoir prise ensuite sur les solutions
à imaginer avec l'autre. Mais lâcher prise est aussi une question
économique. La résolution des conflits rend captifs les plaignants
par les gens du droit dont la faconde superbe et les diplômes de "
maître de l'adversité " inspirent tellement confiance. C'est
enfin une question culturelle dont l'imprégnation séculaire rendrait
presque consubstantielle la posture de l'adversité à la nature humaine.
Mais le propre de l'homme, disent certains philosophes, n'est-il pas d'être
" reprogrammable " ? Étonnons-nous après cela qu'à
la naissance d'un conflit les surenchères montent rapidement avec le recours
désespéré à la violence verbale, tant les parties
se sentent encerclées non seulement par ceux avec lesquels elles sont en
difficulté, mais aussi par ceux-là même qui seraient censés
les aider. On ne lâche pas prise uniquement pour soi, mais aussi au nom
de ceux qui nous entourent et au nom de ceux qui nous ont précédés.
Il faut un peu de courage, beaucoup de discernement et, probablement, de l'aide
car on n'y arrive que rarement tout seul. |