La confidentialité
" tu ne le répéteras pas ! "


Voilà bien une notion paradoxale que la confidentialité. " je te le dis, mais tu ne le répéteras pas ! ". Quel fardeau que cette confidence qui nous tombe dessus sans qu'on n'ait rien demandé le plus souvent ! On ne peut s'empêcher de penser " s'il ne veut pas que ça se sache, il n'a qu'à pas le dire ". C'est quoi cette impérieuse nécessité de parler alors qu'on ne voudrait pas que ça se sache ? Paradoxale car ce qui devrait être tu est dit, mais aussi ambivalent car le bavard est amené à dire ce qu'il voudrait taire. C'est quoi cette confidentialité, ce " je ne le répèterai pas, tu peux compter sur moi ! ". Et, pour le sujet qui nous intéresse, c'est quoi la confidentialité en médiation, à quoi ça sert ?

Regardons le mot en guise d'introduction

Nous passerons sur la première syllabe et laisserons au lecteur l'interprétation qu'il pourra faire de la bêtise annoncée d'entrée de mot (de jeu). Pourtant, cette entame n'est pas sans nous rappeler un certain diner du même nom où la " duperie " était au cœur des échanges. Y aurait-il une dimension de duperie annoncée dans le contrat de confidentialité dès le début du mot ?
Il n'échappera pas à ta sagacité, lecteur, le pléonasme intégré au cœur du mot lui-même et qui dévoile déjà une partie de la motivation du bavard qui veut se taire : " Confi " et " dense ". La pression est forte, il faut que ça sorte, ça fait trop mal de garder cela pour soi. Il y a une congestion cérébrale dont on sent qu'en mouchant son information (en étant le " mouchard " de sa pensée), on va libérer les sinus de son cerveau d'une pression insoutenable. Le liquide céphalo-intellectuel devient moins dense, moins opaque, la pensée devient plus claire. Ah ! Dire ce qu'on ne devrait pas dire permettrait donc d'avoir les idées plus claires.


La fin du mot, elle aussi, en dit long. Triturons : " ialité ". On entend bien le " il " à " toi ". Le propre d'une confidence est qu'elle se fait d'une personne autre " il ", à une personne en personne " toi ". Elle ne se fait pas d'un " moi " (je) à " toi ". L'émetteur reste protégé derrière le " il ". Ce n'est pas sans lien avec la relation d'altérité pratiquée par les médiateurs professionnels, bien que celle-ci soit justement inversée car le médiateur entre par effraction consentie dans le " il " en face de lui pour l'aider à se libérer de sa confidence afin qu'il l'assume au nom de son " je ", alors que le médiateur restera un tiers non impliqué dans le contenu de la confidence, c'est lui le " il ".


Mais nous entendons aussi " alité ", tout simplement. Non que nous soyons en présence d'un malade couché pour suivre une thérapie - surtout pas -, mais en présence d'une personne qui va " accoucher " de ce qui lui pèse.

Cette macération lexicale en guise d'introduction pourrait se poursuivre à plaisir avec " confiance " " confidentiel " (ah ! le Ciel ! nous en reparlerons un peu plus loin, que ne confie-t-on pas dans le (au) ciel !)- mais trop serait trop - et, déjà à ce stade, nous sentons bien comment la dimension paradoxale est majeure dans la " confidentialité " et qu'elle se décline dans le " dire, sans dire, tout en disant ", dans le " c'est lui qui le dit et pas moi qui parle ", dans l'inversion de la charge de garder le silence. Alors à quoi tout cela rime-t-il ? Explorons la confidentialité par rapport à différents points de vue, à différents autres mots voisins pour, petit à petit, en déterminer la suspension plus précise au milieu des autres notions : la confidence et le secret, le risque, la faute et le pardon, il faut bien que ça se sache… et, bien sûr, que fait le médiateur là-dedans ?

Sous le sceau du secret : confidentialité

Cette expression a tout d'un cachet de cire sur l'enveloppe scellée de l'entretien qui va suivre, dont on saura si la confidentialité aura été rompue car le cachet (le caché) brisé dévoilera l'irréparable transgression. Nous sommes bien dans la signature irrévocable d'un contrat relationnel entre personnes (la confidentialité) qui vont échanger des informations (les secrets). Mais il y à là une apparence d'étanchéité, une outrance car, à bien y regarder, il y a plusieurs degrés de secret

. Les espions entraînés à ne pas parler même sous la torture, savent - et leurs hiérarchies encore plus qu'eux - que le secret le mieux gardé est celui qu'on ne connait pas, ainsi leurs patrons ne leurs disent pas tout et ils en sont d'accord (souvent… quelquefois). Nous revenons au " si tu ne veux pas que ça se sache, tu n'as qu'à pas le dire ".

Le " secret défense " est déjà une ouverture à la divulgation d'une information. Ce " classement " du statu d'un document n'induit pas tant le silence qu'un mode de diffusion de l'information, limitée, encadrée, réglementée, mais diffusée car " il faut bien que certaines personnes le sachent ". Mais pas l'ennemi, évidemment à l'ennemi s'est embêtant, de plus on passera pour un traitre, lourde réputation à porter par la suite.

Le secret professionnel du médecin n'est pas une petite affaire. Pourquoi taire la maladie d'un patient ? Point n'est besoin d'un gros effort pour imaginer les conséquences désastreuses pour les personnes malades et leurs familles à l'annonce désordonnée de la maladie. Mais, tôt ou tard, il faut bien que ça se sache. Eh bien non ! Même après sa mort… ça pourrait nuire à sa mémoire, à sa famille… ça pourrait nuire.

Point n'est besoin, non plus, d'un gros effort pour imaginer les conséquences désastreuses pour l'environnement à ne pas dire la maladie quand elle est contagieuse… Nous avons vu des cas de méningites fulgurantes où il était urgentissime de protéger l'entourage. Alors, ne pas nuire à la personne ou ne pas nuire à la collectivité ?

La faute

La confession. Avec le même résultat mettant en évidence les mêmes thèmes, nous pourrions entrer dans la dialectique autour du secret des affaires, du secret de fabrication, du secret de la relation avec son avocat, du secret de l'instruction, du secret bancaire… Nous ne nous contenterons donc que de les évoquer car ils ne nous apporteront que peu d'éléments pour enrichir notre développement. Cependant, nous ne pouvons faire l'impasse sur le secret de la confession. Là, il y a une particularité dans la relation à la faute que n'ont pas les autres secrets. Cette spécificité va nous permettre d'illustrer des points difficiles dans la pratique de la confidentialité en médiation.

Sans chercher bien loin, nous trouvons dans l'actualité nombre de dérogations au secret de la relation entre un avocat et son client faites, justement, par ceux qui seraient en charge de la défendre (la justice) ou bien de modifications impromptues du statut du secret bancaire, etc. Mais, hormis dans des scenarii de film en quête d'effet d'impasse, nous n'avons pas d'exemple de rupture du secret de la confession, ni même de tentative de violation de ce secret qui est reconnu et respecté de tous et partout - même de ceux qui ne sont pas croyants.

Celui qui reçoit la confession (la confidence) le fait au nom d'un Autre. Pour cette raison, il est derrière une grille, dans un confessionnal, ce qui symbolise les distances réciproques des personnes et ritualise la relation dont le contrat est alors implicite. Il n'y a pas cette présence d'intermédiaire (de médiateur) dans les autres révélations de secrets qui se font de personnes à personnes ou de personne à institution (banque par exemple). A moins que, nous allons y venir.

Le confesseur interface la relation entre le confessé et Dieu. A moins qu'il interface le confessé avec lui-même, idée à laquelle accéderons facilement ceux qui pensent que Dieu n'est pas dans le coup. L'aveu de la faute à soi-même ou à Dieu, représenté par un autre, libère de la culpabilité et réconcilie la personne avec elle-même " et/ou " avec le Grand Clément. Le pardon efface la culpabilité et replace la personne dans la joie libérée de ce qui lui pesait. Mais le pardon n'est pas un jugement, c'est un cadeau. Enfin, c'est ce que nous en avons compris car, en ce qui nous concerne, la confession… Notre propos n'est pas de gloser ici sur l'existence ou non de Dieu, mais d'illustrer par l'analyse de cette relation d'un mécanisme de traitement de la culpabilité qui a besoin de la confidentialité pour fonctionner. L'homme n'affiche pas publiquement sa culpabilité et il a besoin de la confidentialité pour s'en libérer.

Le médiateur alors ? Il est justement dans l'hésitation de notre " et/ou " ci-dessus. Il ne juge pas, il n'a pas à pardonner car il n'est pas dans une dialectique de bien ou de mal, il se contente de remettre les personnes dans l'axe de leurs bonnes intentions vis-à-vis d'elles-mêmes. Rien que cela suffit en général à aboutir à des contradictions dont le demandeur va s'apercevoir qu'il devra en sortir. De plus, contradiction n'est pas nécessairement faute. Mais le médiateur met bien la personne devant elle-même, oui. Et, à part la présence de Dieu (une paille !), la différence est mince entre le secret de la confession et la confidentialité d'une médiation.

Mais, justement, elle fait toute la différence. Car le secret de la confession est verrouillé par l'affichage d'une relation de personne à personne entre le confessé et Dieu (représenté). Et cela fait réfléchir ceux qui seraient tentés de s'immiscer dans ce tête à tête, même les plus sceptiques ou sarcastiques envers les bigots. Or si Dieu n'est pas dans le schéma, alors la collectivité et ses lois deviennent la référence suprême et veulent faire valoir leurs droits. La collectivité ne supporte pas ce qui se contractualise en dehors de son regard. Il y a tout de suite un voile de suspicion qui se jette sur les accords secrets aux yeux de la collectivité. La justice reconnait encourage les accords des parties, respecte les contrats qui " ont force de loi ", n'entre pas en action si elle n'est pas sollicitée par une des parties mais, en même temps, elle requiert un droit de regard, de la transparence, elle se réserve un droit d'effraction non consenti de la loi du silence en des cas qu'elle considère comme important pour la collectivité dont elle a la charge. Même si ces cas sont " rares ", même s'ils étaient exercés par des hommes dotés de discernement - ça existe ? - la seule possibilité de cette insertion dans la confidence, fut-elle minime, suffit à faire s'écrouler tout le fragile château de carte de la confidentialité ; alors toute la relation s'inverse et confiance se transforme en méfiance.

Est-ce à dire qu'il n'y a pas de confidentialité possible sans une présence divine ? Certes non mais c'est dire l'extrême difficulté à tenir cette confidentialité sans une éthique ferme du médiateur qui, le cas échéant, aura à résister à des pressions légitimées par la loi. Ainsi, la loi varie d'un décret à un autre, pour le moment elle prévoit que le médiateur " peut ne pas garder le silence ". Elle ne le force pas officiellement à parler sous la pression, mais ne le punit pas s'il rompt la confidence. Tout cela est très jésuitique…

Autrement dit, à travers ces développements, on voit bien que la confidentialité n'est pas uniquement un accord entre deux personnes pour parler et se taire, mais elle s'exerce d'autant plus pleinement et paisiblement avec le consentement de la collectivité contractualisé par la loi (rarement), par l'usage, par le rituel, par une éthique partagée et pas uniquement personnelle.

Résumons : Les phrases que nous avons signalées en gras nous facilitent la tâche en ce qu'elles mettent en relief les thèmes principaux de ce premier développement.
En fait, dans la confidentialité, ce n'est pas tant l'étanchéité du message qui est recherchée que la maitrise de sa diffusion. Il y a plusieurs degrés de secret. Trois idées semblent régir cette diffusion limitée :

" La peur que le message me nuise : " Tout ce que je dirai ne pourra pas être retenu contre moi, et je ne veux pas passer pour un traitre "
" La tension entre la protection individuelle et la protection collective
" La relation à la faute ou les contradictions ne s'affiche pas " publiquement "

Il s'en suit, pour le médiateur, une position de guingois. Car, si la différence est mince entre le secret de la confession et la confidentialité d'une médiation, la non présence divine dans la relation est substituée par la relation à la collectivité et ses lois qui sont ambivalentes en ce qu'elles encouragent l'accord confidentiel entre les parties mais, tout en même temps, se réservent un droit d'effraction (de regard) si elles le jugent nécessaire. L'usage qui régule les situations scabreuses dans d'autres relations confidentielles (secret médical par exemple) n'est pas encore stabilisé en ce qui concerne la médiation et fragilise la posture du médiateur qui va devoir compter sur ses propres ressources pour résister aux éventuelles pressions.

Le risque

A plusieurs reprises, nous avons évoqué le risque de la parole. C'est quoi au juste ce risque ? L'approche de cette question n'est pas totalement étrangère à ce que nous venons d'explorer, mais nous éviterons les redites.

En bon médiateur, on est professionnellement enclin à prêter à chaque personne en conflit - limitons-nous à cette population maintenant - de bonnes intentions à son propre égard et, bien sûr et à juste titre, à penser qu'une personne parle en confidentialité pour ne pas encourir de risque pour elle-même : risque d'être démenti, risque d'être dévoilée et donc sans défense vis à vis de son détracteur, risque de ne plus pouvoir paraître, risque de devoir être sincère, risque de voir sa propre vérité… oui, c'est de ce côté que se situe la peur. Les gens parlent en confidentialité en dominant leur peur de briser leur narcissisme pour, avec l'aide d'un tiers, un médiateur, sortir du cercle brownien de leur pensée enchaînée au roc de leurs émotions et se voir en face d'eux-mêmes, mais d'un point de vue extérieur - c'est compliqué n'est-ce pas ? La douleur de rester en eux-mêmes est plus forte que la peur d'en sortir et c'est la relation avec un tiers en confidence qui baisse l'intensité de cette peur et qui aide à sortir du cercle aliénant de leurs émotions réflexives. La confidentialité est une sorte de bouée pour qui veut surnager dans sa propre tourmente.

Mais pas que. Chaque être humain est doté de plusieurs dimensions et, si même la dimension " ego " est prégnante au premier degré, la dimension " altéro ", la dimension collective est consubstantielle à l'homme qui est un être sociable. Au titre de la dimension collective, on pourrait citer les cercles : familiale, d'entreprise, associatif, spirituel, culturel, etc. Ainsi, chacun de nous est porteur de cette multi dimensionnalité et donc conscient - plus ou moins - du risque qu'il peut faire courir aux autres. La surprise collective de voir des personnes endosser de façon visible ce risque collectif dans des situations scabreuses est le ressort qui fait qu'on les gratifie vite du titre de " héros ". En réalité, nous sommes tous un peu des héros, mais ça ne se voit pas forcément, c'est juste une question de dose et de visibilité selon les circonstances.

Pour encourager la cautérisation des egos atteints d'abandon et la montée en puissance de la graine de héros en nous, il y a des facilitateurs : la loi, l'usage, le professionnalisme, le charisme personnel, le retour d'expérience, le témoignage des autres… tout ceci pour rassurer le héro dormant qui va nous faire dépasser nos bonnes intentions immédiates ego-centrées.

Donc deux risques antagonistes : risque de se retrouver avec soi et ses possibles incohérences d'un côté, risques de devoir doser ses motivations pleines de bonnes intentions pour soi-même au profit du bien être collectif hypothétique. Mais, au second degré, risque de devoir affronter le choix entre les deux et, donc, le dosage imparfait et frustrant qui va en résulter car, normalement, nous n'arrivons pas à trancher radicalement pour l'un ou pour l'autre… Le risque de parler serait donc lié au risque de devoir choisir une cohérence multiple imparfaite.

Mais, jusque-là, nous sommes restés sur la tension entre une relation égocentrée ou collective. Car il est une autre relation non moins risquée et effrayante, c'est justement la relation à l'autre individuel. Or dans un conflit, car c'est bien de cela dont nous parlons, il y a au moins deux personnes. La relation à l'autre s'est dégradée pour aboutir à un conflit. Une relation dégradée est toujours très douloureuse. La mémoire de cette douleur rend inimaginable de se retrouver face à face avec son contradicteur (cf. l'article que nous avons écrit sur la douleur). A prendre la parole s'ouvre le risque de devoir in fine affronter l'autre dans une relation encadrée, certes, mais on est prêt à tout pour l'éviter, même à payer un tiers pour le faire à notre place. La confidentialité est donc un premier mode d'approche du traitement du conflit qui permet alors de dire sans que l'autre, à coup sûr, ne l'entende. Et pourtant, il faut bien que ça se sache…

Pourquoi prendre ce risque ?

Bouh ! Que tout cela est bien compliqué. On se demande pourquoi si les risques sont si " risqués ", il en est encore qui veuille les prendre. Après tout est-ce si dur de se taire ? Limitons nous à des personnes en conflit.
Nous avons déjà évoqué en introduction la pression intérieure que représente le confinement d'un secret dans les replis de l'oubli, le besoin d'y voir clair, le besoin de rationnaliser sa vie sont des tendances lourdes de l'homme et nous invite à parler d'une difficulté relationnelle discrètement avec un tiers, comme-si on était avec soi-même, pour y voir clair. N'y revenons pas.

En revanche, nous n'avons pas évoqué la lancinante inclination humaine à entretenir des relations harmonieuses avec son entourage. Cette recherche d'harmonie ne se console pas, ne renonce pas à revenir sur un accroc relationnel qu'il faut réparer. Le besoin d'équité ressenti par tout homme n'arrive pas à le faire renoncer à justifier son comportement, son action, en référence à sa vision du monde, à ce qu'il croit juste, à ce qui fait sens dans sa vie. Ces choses-là ne se disent pas en public mais bien dans le cadre d'une relation confidentielle qui libère la parole quand elle sait qu'elle ne sera pas répétée ni jugée.

L'homme est un être de relation, il a besoin que ça se passe bien avec les autres, avec son environnement social, écologique, économique… il souffre quand ça se passe mal. Il ne comprend pas, lui qui est si plein de bonnes intentions, pourquoi les autres lui refusent cette relation harmonieuse. Pour analyser ces questions, il a besoin d'un tiers miroir avec lequel il se sentira comme seul avec lui-même et donc en tout discrétion. La confidentialité décroche la peur de son emprise sur les personnes.

Assez spontanément, les hommes, même les plus égocentriques, comprennent la nécessité d'un équilibre dans les relations, d'une certaine réciprocité, d'une certaine équité. L'important étant dans la " certaine " dont l'appréciation varie d'une personne à l'autre, mais dont le déséquilibre trop prononcé appel à repenser la relation discrètement pour ne pas attiser, justement, ces différences.

Mais nous restons, pour le moment, entre personnes " de bonne foi ", sincères qui ont un besoin " normal " de parler. Nous passerons rapidement sur l'évocation de ceux qui ont un recours pervers à la confidentialité pour se faire un allié de leur interlocuteur, ou même pour allumer une bombe à retardement en manipulant ce dernier dont ils savent pertinemment qu'il ne gardera pas le secret pour lui et qu'il sera le meilleur diffuseur d'information : " quand je veux que quelque chose se sache dans mon quartier je sais qu'il faut que je le dise à ma voisine sous le sceau du secret ; deux jours pas plus et tout le quartier est au courant. "

Et le médiateur alors ?

D'une approche assez générale, nous avons progressivement abandonné les références des secrets divers, une fois que leur évocation ait fini de nous permettre de dégager les grands thèmes autour de la confidentialité. Puis, nous avons convergé petit à petit vers la nécessité de la confidentialité en médiation et, donc, petit à petit, nous avons déjà positionné le médiateur dans son rôle. La question ouverte du rôle de la confidentialité en médiation et de la posture du médiateur vient donc tout naturellement à ce stade et y répondre va donc prendre la forme d'un rappel en guise de conclusion.

Car le médiateur est bien installé dans la dialectique que nous venons de développer.

Au début, les choses viennent donc naturellement, le médiateur professionnel :

" Ne juge pas et sa posture altéro-centrée (dont nous avons développé les contours dans un article spécifique) ne le lui permet pas
" Bien évidement, ne cherche pas à nuire et a complètement intégré dans sa pratique professionnel de ne pas aller raconter à une des parties en conflit ce que l'autre lui aura dit. Quelquefois, ce n'est pas facile tellement les choses paraissent évidentes et une information, un sourcillement peuvent suffire à trahir à l'insu du médiateur une confidence.
" Remplit bien le service d'aider son interlocuteur à voir clair dans sa pensée en libérant la pression des émotions qui l'habitent.

Mais les choses peuvent se compliquer : des informations qui mettent en tension l'intérêt de l'individu et celui de la collectivité ne sont pas gérables " naturellement " comme nous l'avons évoqué ci-dessus. A quel moment faut-il rompre l'absolu silence ? Des exemples ? :

" Mon père me fait des attouchements… , dit une petite fille de 9 ans" ça vaut la peine de vérifier, mais comment sans en parler à personne ?
" J'ai mis en place un dispositif de détournement des fonds de mon entreprise mais j'ai arrêté depuis une semaine… " Ah bon ! Et maintenant ? " Maintenant, rien… je ne sais pas pourquoi je vous dis cela… "

Il est des zones dont la confidentialité permet l'accès et qui, nonobstant la neutralité du médiateur, peuvent devenir insupportables à certains et les mettre dans des situations ingérables. Des exemples ? :

" pour tout vous dire " aie ! " mais je compte sur vous pour ne pas le répéter, bien sûr ", bien sûr, " nous sommes en conflit avec mon mari car je souhaite faire l'ablation du clitoris de ma fille (notre fille) comme on me l'a appris dans ma famille et depuis la nuit des temps dans mon pays, et mon mari n'en est pas d'accord. Nous allons nous séparer, mais personne ne sait pourquoi. Je compte sur votre discrétion…".

On supporte ou on ne supporte pas ; même si les limites de l'ouverture d'esprit sont larges, il est envisageable qu'elles ne soient pas infinies pour un médiateur qui, au-delà de son professionnalisme, est tout de même supposé n'être qu'un homme " normal ".

" oui, je suis en conflit avec Pierre, mais vous ne le lui direz pas, je lui ai déjà volé l'argent qu'il ne veut pas me " rendre " en piratant son ordinateur. D'ailleurs j'ai appris comment on fait maintenant, c'est facile, et je pourrai le refaire… ".

Deux jours après : " nous avons été saisis par un dénommé Pierre à l'encontre d'un monsieur, Alain D…, que vous avez reçu en méditation et nous aimerions savoir ce qu'il est ressorti de votre entretien car nous soupçonnons ce monsieur de pirater de nombreux sites pour détournement de cartes de crédit "

" Messieurs les policiers, la confidentialité des entretiens que j'ai avec les personnes que je reçois ne me permet pas de vous infirmer ou confirmer quoique ce soit sur ces questions, continuez votre enquête sans moi "

" Pas de problème Monsieur le médiateur, comme nous avons la copie de courriels que ce monsieur Alain vous a adressés qui peuvent prêter à interprétation, nous vous arrêtons pour complicité… "

Enfin, lecteur, vous imaginerez le reste comme vous voudrez.

Alors que faire ?

On voit au travers de ces quelques exemples que la confidentialité des entretiens avec le médiateur repose pour beaucoup sur son engagement personnel plus que sur un engagement assumer par les usages et la loi. La posture de confidentialité est évidente dans les situations évidentes mais justement la confidentialité est sollicitée dans les cas non-évidents. Alors c'est dans le déchirement que se forge l'éthique (Prud'hon).

N'exagérons pas, le vide juridique sur la confidentialité n'est pas total, il existe un CODEOME (code de la médiation et du médiateur professionnel) auquel les médiateurs professionnels peuvent adhérer. Tous les organismes de médiation font référence à ce genre de document, charte d'éthique, code de déontologie, etc. qui tous affirment la nécessité de la confidentialité, première condition de la mise en place d'une relation de confiance. Mais, l'adhésion à ces codes se fait sur la base d'un volontariat, pas tellement sur une base légale officielle.

En pratique, et au-delà des textes de loi, la confidentialité du médiateur est fragilisée en raison du manque de reconnaissance de sa fonction. Nous entendons par-là du manque d'indépendance officielle de son métier. La médiation, solution alternative de justice, reste dans le paradigme culturel de la justice et de la traditionnelle relation d'adversité, dans la lecture qu'en font nos responsables politiques notamment. Or c'est précisément l'inverse. La médiation professionnelle ne s'occupe pas de justice, mais de la qualité relationnelle entre les parties afin qu'elles trouvent entre elles la solution à leur conflit. Tant que la médiation ne sortira pas de la zone du ministère de la justice, le médiateur ne sera pas indépendant totalement et la confidentialité des entretiens avec les personnes en conflit sera toujours soumise à un potentiel coup de force pour droit de regard de la part de la tutelle. Que faire ?


" Former nos responsables à ce qu'est la médiation - mais là ce n'est pas gagner car il faudra qu'ils prennent conscience qu'ils ne savent pas de quoi ils parlent et il n'est pas commode d'expliquer cela à un ministre ou un magistrat.
" Encadrer la fonction de médiateur (les médiateurs n'aiment pas être encadrés) par une charte du genre de celle des journalistes dont l'indépendance n'est plus contestée par personne (dans nos pays) mais dont l'adhésion représente un engagement fort de la part de ceux qui y souscrivent. Elle est d'ailleurs régulièrement mise à jour pour tenir compte, disons, de l'évolution de nos sociétés.
" Promouvoir des textes comme le CODEOME au rang de texte officiel
" Mais aussi prévoir que le médiateur puisse " décrocher " et puisse se retirer d'une médiation qui le touche de trop près, pour des raisons personnelles - vécu, morale personnelle, enjeux qui le dépassent… - et prévoir donc les modalités de ce retrait en cours de médiation, en inscrivant une sorte de " clause de conscience " dans la charte et ses modalités pratiques d'application.
" Il n'est pas impossible aussi que la pratique de la médiation à deux médiateurs puisse aider à aborder ces situations difficiles.

Néanmoins, confidentialité ne veut pas dire silence. Les exemples que nous avons cités ci-dessus, tirés de la réalité de notre métier, il ne nuit à personne que d'en avoir parlé. Il faut bien que ça se sache. La confidentialité ne consiste pas à ne rien dire (nous l'avons compris maintenant) mais à maitriser la diffusion. Et, donc, les rapports qui pourront être faits le seront de façon lointaine et complètement anonyme, pour illustrer, pour faire des statistiques, pour former les médiateurs sur des cas réels ou presque…

Ah oui, nous allions oublier ! Mais nous ne pouvons pas aborder tous les sujets à la fois. Il nous semble qu'au travers de nos développements, nous avons induit dans l'esprit du lecteur que la confidentialité concernait les entretiens que le médiateur a individuellement avec les parties en conflit, certes. Il est à noter que la confidentialité concerne aussi les entretiens de " l'inimaginable discussion " que les parties auront pour trouver ensemble la solution qui leur conviendra au mieux. C'est dire que la confidentialité concerne alors les parties elles-mêmes qui auront à taire les échanges qu'elles auront eus dans le cadre de la médiation. A taire ces échanges de façon durable, pas pour quelques jours que les choses se tassent, pas pour un mois, à se taire point. Le rôle du médiateur consistera aussi à le leur en faire prendre conscience et à obtenir leurs engagements sur ce préalable au bon déroulement de la médiation.

Conclusion


Le chapitre précédent s'annonçait déjà comme conclusion, nous reprenons donc rapidement. Plus que de se taire, la confidentialité concerne plus la maîtrise de la diffusion de la confidence, pour que l'information ne se retourne ni contre celui qui la détient et qui la livre ni contre la collectivité. La réponse à cette maîtrise n'est pas du tout simple, ni stable dans le temps selon l'évolution de nos sociétés. L'éthique personnelle du médiateur est donc une donnée essentielle dans la sélection, la formation et l'entrainement de ce professionnel.


Si cet article vous a paru un peu long, convenez de votre côté que, pourtant, nous n'avons pas épuisé le sujet, qui est d'une extrême complexité dont le commun se débarrasse dans l'appel incantatoire au silence, au motus et bouche cousu, tout en étant lui-même un incontinent bavard. Alors nous conviendrons, de notre côté, avoir été encore plus bavard pour avoir clabaudé pendant 9 pages, sur un mot " confidentialité " dont vous n'avez pas été sans remarquer qu'il n'était pas répertorié dans " le petit Robert ". C'est assez dire combien nous avons parlé de quelque chose qui n'existe pas…