Médiation et autorité Combien de fois les médiations rencontrent-elles, notamment dans leur processus de démarrage, l'obstacle de l'autorité de l'une des parties sur l'autre. Résoudre autrement les conflits que par un rappel à la loi / au règlement risque-t-il d'entacher les rapports d'autorité dans notre société ? Comment faire accepter à un directeur d'entreprise de ne pas exercer son pouvoir hiérarchique pendant un moment ? Comment s'abstraire du cadre juridique ? Comment expliquer à un professeur qu'un conflit qui se réglerait par la médiation donc par l'intermédiaire d'une personne autre que lui) n'est pas une remise en cause de son autorité ? Impossible ! Impossible mais de plus inutile. Et pour cause, parce que pour entrer en médiation, il n'y a pas à entrer dans ce renoncement. Tout cela est confus et craintif dans nos esprits, en alerte que nous sommes de nous voir à notre tour, un jour, confrontés à cette question. Tachons de nous déplacer dans les méandres de ce marécage conceptuel pour tenter d'en éclaircir un sens d'écoulement de la pensée et du comportement vers lequel caler notre posture de médiateur et celui des parties en conflit. Nous voudrions éviter
de commencer en présentant la distinction entre l'autorité de pouvoir,
de fonction ou de compétence, en évoquant l'autorité naturelle
propre à chacun d'entre nous ou celle acquise dans un couple ou une famille,
l'autorité légale, sociale, parentale, ce serait commencer un exposé
universitaire au risque de vous lasser, lecteur, de plus, nous allons le voir,
la problématique ne change pas beaucoup. Et c'est bien ce que nous
dit l'étymologie du mot qui renvoie à augere et donc augmenter,
poser un acte créateur, fondateur, presque engendrer ou bien auctor
auteur, encore un créateur. Et c'est bien là le problème, l'origine pleine de bonnes intentions du mot qui voulait se mettre au service de l'autre, devient avec le temps un outil de contrainte. Le mot comme nous l'avons vu au chapitre précédent traduit donc bien l'ambigüité de son histoire, d'où la confusion dans les esprits et le blocage dans les médiations par crainte, non pas de perdre son " autorité " mais son " pouvoir ". Le " potentiellement valorisante " ci-dessus va dépendre du sens vers lequel le détenteur de l'autorité va exercer son pouvoir : pour faire grandir l'autre et le libérer ou pour le contraindre et l'écraser. Quelques exemples pour incarner ce début tiraillé autour du mot et illustrer les contorsionnismes dans lesquels les médiateurs sont parfois amenés à entrer pour faire retrouver l'équilibre et la responsabilité à ceux qui viennent les consulter. A l'armée,
un bon début. " La discipline fait la force des armées
" slogan de ralliement des militaires qui se vivent comme les propriétaires
de cette discipline qu'est la discipline (hum). Et oui, pour en parler, il peut
être utile de prendre le sujet comme une discipline universitaire, comme
un des éléments de la qualité relationnelle dont les médiateurs
professionnels se targuent d'être des spécialistes. Il n'y a pas que ça. En entreprise,
il y a aussi l'inverse. L'autorité s'appuie presque toujours sur
des forces extérieures que sont la loi, le règlement intérieur,
la jurisprudence de cas similaires déjà tranchés
et
donc, en arrière plan, sur la force publique anonyme qui va les faire appliquer.
Autrement dit, je ne suis plus responsable de ce que j'impose, je suis le représentant
d'une autorité supérieure, je suis l'exécuteur des basses
uvres, le transmetteur des contraintes qui me sont d'ailleurs également
imposées
l'autorité par défausse. Moi, je voudrais
bien, mais je ne peux pas, je dois obéir comme je vous demande d'obéir
aussi. Je suis un brave type, mais discipliné
J'ai cru entendre que
vous lisiez " un con ". Mais ce n'est pas moi qui l'ai écrit. Pendant que nous sommes dans les
inversions que nous affectionnons, en effet, il en est une autre subtile
souvent à traiter. Celle de la victime consentante à son insu. Il
est des gens qui dégagent une " autorité naturelle " qui
force l'admiration, on parle élégamment de leadership, de charisme
de communication, de pouvoir de conviction et on en parle souvent de façon
flatteuse. Certes. Sans trahir notre intimité, nous nous souvenons d'un
cours d'allemand, nous avions 15 ou 16 ans, au cours duquel nous avons entendu
pour la première fois un discours d'Hitler, nous n'avons pas compris un
mot, mais nous avions la chair de poule à l'écoute de cette puissance
de ton. Il y a des gens qui arrachent les foules. Sans aller jusqu'à la
guerre mondiale, lors de la résolution d'un conflit conjugal, il y a presque
toujours un dominant et un dominé victime et quelquefois victime consentante
à son insu (habitude d'être dominé, reste d'amour pour l'autre,
l'apparence de devoir protéger les enfants qui sert d'alibi à la
non confrontation, que sais-je ?). L'autorité du dominant est chose acquise
même si l'autre se rebelle et les deux sont complices dans un accord sourd
pour le maintien de cette relation même si l'un la dénonce, en apparence.
Le rétablissement de la liberté des deux interlocuteurs, par l'intervention
d'un tiers, un médiateur, va se faire en sens inverse selon les deux parties.
Ça peut prendre du temps. Attention, il faut libérer les deux, car
l'autoritaire est lui aussi aliéné par l'image qu'il a de lui dans
le regard de son conjoint. Depuis l'école et après.
La quasi unanimité des enseignants souffre de la dégradation des
relations dans l'école entre les élèves, entre eux et les
enfants, et avec les parents
Mais, restons sur les relations entre les élèves.
Deux enfants se disputent. L'instituteur tout de suite fait un rappel au règlement
(la loi) pour résoudre la tension entre les enfants. Tout conflit est une
atteinte à la loi qui va résoudre les tensions car l'adulte rappelle
et s'appuie sur cette loi pour imposer le calme dans les rangs. Mais un enfant
a insulté un autre et les insultes ne sont pas prohibées dans le
règlement intérieur, de plus comment savoir qui a insulté
qui ? Si l'un a insulté l'autre (à prouver), il peut être
justifié de le punir (avec discernement) alors peut-être le calme
reviendra dans la classe. Mais celui qui aura été insulté
n'est pas consolé de voir la classe calmée, il continue de porter
la blessure qu'il a reçue et la " condamnation " de son camarade
n'est pas une consolation suffisante. D'ailleurs, cette insulte est-elle venue
sans motif ? Il va falloir recréer les conditions d'une certaine qualité
relationnelle entre les deux enfants. C'est le rôle du médiateur
et cette reconstruction ne se fait pas par l'application de la loi mais par l'instauration
d'un dialogue aidé et mené par un médiateur. Ce dialogue
aura pour vertu de permettre aux élèves de résoudre eux mêmes
leur conflit et de réparer ainsi leur blessure sans pour autant remettre
en cause l'autorité de l'instituteur. Il reste celui qui commande dans
la classe et au sein de l'établissement. Aller,
encore une inversion. Vous allez dire qu'on tourne en rond à force
d'inverser. Mais pas du tout, nous avançons. Si vous commencez à
la suite de ce qui précède, à être quelque peu convaincu
de ce que la médiation agit sur un autre plan que l'autorité, nous
proposons maintenant justement de rétablir le lien entre les deux que nous
nous efforçons pourtant de dissocier depuis quelques pages. En effet, on
ne parle que des trains qui arrivent en retard, on ne parle que des relations
qui dérapent en conflit. Et là, une fois la surenchère ayant
placé les parties au sommet de leur orgueil et de leur autorité
bafouée, les choses sont compliquées à dénouer et
l'autorité des uns et des autres risque de s'en trouver émoussée
à l'issue du conflit. Or comme les bonnes piles d'énergie, l'autorité
ne s'use que si on s'en sert. La médiation utile pour résoudre les
conflits est pourtant bien plus utile pour mettre en place, à la maison,
en entreprise, à l'école, les éléments d'une qualité
relationnelle qui justement évite l'éclosion des conflits et remet
chacun en place dans sa responsabilité vis à vis des autres. La
médiation au service de la qualité relationnelle est dans cette
logique un renforcement de l'autorité de chacune des parties. Alors, autorité
: contrainte ou pas contrainte ? Eh oui, il y a presque une dichotomie,
c'est l'un ou l'autre, on est presque obligé de choisir son camp pour vivre.
De fait, le petit homme choisit. De fait, il y a ceux qui choisissent d'être
avec, d'autres qui choisissent d'être contre l'autorité et ce sont
souvent des choix à vie. Certains hommes se construisent contre leurs parents,
contre leurs professeurs, contre la loi, contre l'Etat, contre
il peut être
important pour le médiateur de détecter cette posture car lui aussi,
au cours des entretiens, use de son autorité naturelle et de celle qui
lui aura été conférée par les parties pour faire respecter
les règles convenues de la qualité relationnelle. Il risque alors
de se trouver lui-même confronté à une posture " anti
" pliée de longue date dans la personnalité d'une des parties
et faire l'objet d'une certaine agressivité de la part d'un des belligérants.
Pas simple. L'ajustement de ces postures respectives pourrait à lui seul
justifier la tenue d'entretiens individuels préalables avec chacune des
parties en conflit, mais est-ce toujours possible, notamment en milieu scolaire
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